DE QUELQUES DATES ET NOTES
À PROPOS DU FAIT DIVERS
COMME SOURCE D’INSPIRATION
DU ROMAN NOIR OU POLICIER
- En 1830 : naissance de la presse populaire, année de publication du Rouge et le noir de Stendhal, inspiré de l’affaire Berthet. Quant à la formule « fait divers » elle apparaît dès 1838, année de publication des Mémoires tirées des archives de la police de Jacques Peuchet où figurait la tragique histoire de François Picaud dont s’est inspiré Alexandre Dumas père dans Le Comte de Monte-Cristo (1844) !
- « Faits divers » selon la définition du Petit Robert : "Nouvelles peu importantes d’un journal".

- Le fait divers est un pré-texte.
Le fait divers c’est l’irruption
dans la vie d’un sujet potentiel pour le nouvelliste, le romancier… détrousseur
de cadavres, charognard de canards… Il préfigure et assiste la propension du
roman noir à dénoncer des faits de société.

Roland Barthes consacre
une part de ses Mythologies (1957) au
fait divers, ce "rebut inorganisé de nouvelles informes" à l’article Dominici ou le triomphe de la littérature,
il évoque cette fameuse affaire et théorise une "littérature du document
humain"… une littérature qui "venait au prétoire chercher de nouveaux
documents humains ". Comme pouvait le faire Colette au procès
de Landru.
De Franck Évrard signalons
le remarquable Fait divers et littérature, où sont évoqués les micro-récits
littéraires :
-
Les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon
pour Le Matin (1906) » : "À
Clichy, un élégant jeune homme s’est jeté sous un fiacre caoutchouté, puis,
indemne, sous un camion, qui le broya".
-
Les Poèmes-conversations de Guillaume
Apollinaire .
-
Les Télégrammes-poèmes de Blaise Cendrars.
[Mais je n’oublierais pas de citer également ses passionnants reportages pour
Paris-soir du printemps 1934, réunis sous le titre évocateur Panorama de la pègre, réédité chez 10/18
en 1986, série Grands Reporters]. Il nous emmène Dans les bas-fonds, Chez
les contrebandiers du Nord , Les
Receleurs de bijoux, Les Tueurs
(à la page 139 : "Le tueur est un instrument, ni plus ni moins qu’un
couteau de cuisine, une cordelette de soie ou un revolver"…).
On se souviendra qu’Eugène
Sue, dans son préambule aux feuilletonesques Mystères de Paris (1842-43), eut pour projet de "mettre sous
les yeux du lecteur quelques épisodes de la vie de barbares "
Edgar Allan Poe traduit par Charles
Baudelaire [voir de ce dernier son programme de la modernité, 1859 :
"Celle-ci recherche la beauté particulière, la beauté de circonstance et le trait de mœurs"] ouvre le bal et
de quelle manière avec Le Mystère de
Marie Roget sous-titré Pour faire
suite à Double assassinat dans la rue morgue. Il brouille déjà les
frontières entre l’auteur et le détective, le réel et la fiction, entre le
genre littéraire décidément le plus proche de la réalité et le genre
journalistique. Poe nous prévient dès la seconde page : "Les
détails extraordinaires que je suis invité à publier forment, /…/ la première
branche d’une série de coïncidences à peine imaginables, dont tous les lecteurs
retrouveront la branche secondaire ou finale dans l’assassinat récent de Mary
Cecilia Rogers, à New York", dont le corps fut retrouvé dans l’Hudson en
juillet 1841.
Poe n’est certes pas le
seul ni le premier écrivain démiurge à s’être substitué aux enquêteurs officiels,
citons :
Fédor Dostoievski qui,
dans son Journal d’un écrivain
(1873-1881) rend compte d’une affaire criminelle, le procès de La Kornilova. Il
noue et dénoue lui-même l’intrigue quelques mois après l’enquête judiciaire et
il note : "J’ai presque tout deviné. Je fus surpris de voir comme mes
suppositions s’étaient trouvées presque conformes à la réalité".

[Edgar Allan Poe vient
d’apparaître en personnage de roman dans Noir
Corbeau de Joel Rose (Points Thriller au Seuil, 2008) où, justement
à l’époque du Mystère, en jeune
journaliste et écrivain, il va aider le directeur de la police et boucler la
boucle !]
Pierre Souvestre et Marcel Allain,
auteurs de la série des Fantômas ,
l’empereur du crime (32 volumes entre 1911-1913 puis 12 autres par Allain seul
après le décès de Souvestre en 1914), s’inspirent des extravagantes péripéties
vécues par le bandit Charles Jud, alias Le Fantôme, ou encore l’Insaisissable,
qui fit les beaux jours de la presse de 1860 à 1864…
Leur Fantômas, bien avant de
devenir un fameux Magritte de 1943, y est traqué par un policier nommé Juve.
André Gide propose en 1914
le prototype littéraire du crime gratuit dans Les Caves du vatican, où Lafcadio
précipite du train sa victime… crime fort proche dans sa nature du meurtre du
préfet Barrême projeté du Paris-Cherbourg en 1886. Gide, de tous temps
fasciné par les criminels, tenait la rubrique de la Nouvelle Revue Française
intitulée Faits divers , il a publié également en 1930 Ne jugez pas en rapport avec l’affaire
de la séquestrée de Poitiers.

Enfin rappelons que le fameux et
terrible Psychose est redevable du
roman de Robert Bloch qui fut le chroniqueur d’une des toutes premières
histoires vraies de serial killer.
[voir aussi Michael Connelly,
le futur auteur du Poète, qui en suivant et écrivant sur
ces affaires de 1984 à 1992 pour le South Florida Sun-Sentinel et le Los
Angeles Times, emmagasine la teneur et la matière criminelle de ses romans à
venir dans ses , Chroniques du crime,
Points Seuil, 2007].
En 1928 mentionnons la
naissance de l’hebdomadaire Détective "le grand hebdomadaire des faits
divers", édité chez Gallimard, sous la houlette de Joseph Kessel
avec pour illustres collaborateurs Francis Carco, Pierre Mac Orlan,
Marcel Achard, Jean Cocteau, Albert Londres, etc... [rien à voir
avec le parfum de scandale noir du Nouveau
Détective que vous pouvez trouver de
nos jours en kiosque].
Ajoutons, avec Claude Chabrol,
combien la chanson des années 20 s’inspirait du fait divers...
[Ayons une pensée pour
L’Illustrateur des illustrateurs des unes ou couvertures liées aux faits divers
Détective, France Soir, France Dimanche, Fleuve Noir,…, j’ai nommé, dans le
coin noir et blanc, le prolifique, l’expressionniste et mélodramatique, Angelo
Di Marco !]
Dashiell Hammett publie La Moisson rouge (1929) parue deux ans
avant en feuilleton dans la revue Black Mask : la bible du dur à cuire,
le hard-boiled US de cette révolution littéraire et comportementaliste.

En 1931 paraît Pietr le Letton, le premier Maigret de Georges
Simenon qui aurait, selon Patrick Pécherot dans Soleil Noir, été inspiré d’une bande de bandits polonais qui
auraient sévi dans le nord de la France.
En 1932 John Dos
Passos publie le second volume de sa trilogie USA : 1919, l’année première du siècle américain. Le crime perpétré
contre Wesley Everest (lui aussi de l’IWW), battu, châtré et pendu à Centralia
en novembre 1917 par des anciens combattants de l’American Legion inspire Dos
Passos.

Assurance sur la mort, nouvelle parue en 1935, est à l'origine du
film de Billy Wilder, scénario de Raymond Chandler, un des chefs-d’œuvre fondateur du film noir
(1944). La narration à la première
personne qui raconte toute l’histoire en flash-back et la photo
« maussade » influenceront des
décennies de productions hollywoodiennes. Je vous renvoie au très beau Dark City d’Eddie Muller évoquant
le Code Hays dont le censeur en chef jura que ni The Postman, ni aucun livre de James Cain ne serait jamais
porté à l’écran ...
Tout comme le libraire… James Hadley CHASE qui, frappé par le
succès du Facteur, produira en six
week-ends londoniens ce qui sera le futur n°3 de la Série Noire Pas d’orchidées pour Miss Blandish,
inspiré par les vraies péripéties
d’un ramassis familial de truands américains dirigés par une dénommée Ma
Barker, époque Dillinger.
- Autant l’écrivain enquête autant ses écrits peuvent inspirer ... des criminels !
Deux exemples tirés de l’article
passionnant et très documenté de Roland Lacourbe Le fait divers et les romanciers (revue 813, n° 52 de juin
1995) :
dans les années 50 des casseurs
de bijouteries s’inspirent de Du Rififi
chez les hommes d’Auguste Le
Breton, tout comme dix ans après le roman d’Eric Ambler La Nuit d’Istanbul (1962, et au cinéma Topkapi de Jules Dassin) où d’audacieux
cambrioleurs s’introduisent par le toit dans le Metropolitan Museum de New York
en reproduisant le stratagème décrit à l’écran.
- Dans ces mêmes années, les mystères en chambre close, autres classiques du roman d’énigme et de suspense, ne sont pas exempts d’emprunts aux faits divers comme nous l’apprend Jean Myard dans La Vache Qui Lit n° 94. Ainsi, le mystérieux crime de la station Porte Dorée à Paris en 1937, où une jeune femme fut retrouvée égorgée dans une rame de métro… dont personne n’était sorti et dont elle était la seule passagère, devient le sujet d’au moins trois romans : Cadavre en première classe de L. Truc (1949), Le Crime du métro de C.A. Dupin (1954), et… Le Crime du dernier métro (2001) de Pierre Siniac (titres redevables à Roland Lacourbe et sa préface-présentation Le mystère de la chambre close dans Mystères à huis clos, chez Omnibus en 2007).
- En 1953, Lion Books édite Le Criminel de Jim Thompson (Fayard, 1981). Un adolescent y est accusé d’avoir violé puis assassiné une jeune fille. L’originalité du texte est de révéler les différents points de vue et versions de tous les protagonistes de l’affaire. Un criminel est utile à tout le monde : à la presse, aux politiciens, au coroner, aux flics, aux avocats, aux parents, aux voisins, aux amis,… et bien évidemment aux écrivains, comme je m’efforce de le démontrer. Le premier narrateur, Allen Talbert nous prévient non sans ironie "Si vous avez lu les journaux, ces derniers temps, vous savez sans doute déjà de quoi je veux parler."

Jean Meckert (alias John
de l’après-guerre US ou Jean Amila à la Série Noire, l’écrivain engagé
d’Au balcon d’Hiroshima, Le Boucher des Hurlus et La Lune d’Omaha) publie en 1954 un
roman-reportage La Tragédie de Lurs,
une commande de Gaston Gallimard qui s’interroge sur l’affaire Dominici et le
meurtre de cette famille britannique sur les bords de la Durance en août 1952. Meckert,
à l’inverse de Poe ou de Dostoïevski, ne conclut pas. Coupable ou
non, le patriarche ? "Il est bien évident que l’homme qui lit son
journal et paie ses impôts n’est pas content. Il lui fallait un dénouement, et
il n’y en a pas ! Il a l’impression d’avoir été pigeonné." (Réédition
chez J. Losfeld en 2007)

Observateur surengagé, il va non
seulement recueillir force confidences des témoins, confessions, documents
authentiques, fréquenter, correspondre avec les deux jeunes voyous coupables
que sont Dick Hickock et Perry Smith mais aussi entrer dans l’histoire, faire part de la narration. Et ce de diverses
manières, parfois fort troublantes et
ambiguës : en offrant notamment les services d’un avocat pour arracher des
reports à l’exécution et de la sorte pouvoir continuer à faire parler Perry et
enrichir la matière du livre à venir, concluant son extraordinaire
implication par "Perry et Dick ont été pendus mardi dernier, j’étais
là parce qu’ils me l’avaient demandé. Ce fut une épreuve atroce."
Ecrire "avec sa vie"
comme le dit si bien JMG Le Clézio dans son article du n°1 du Magazine
Littéraire. Il est lui-même auteur de La
Ronde et autres faits divers et du Procès
verbal en 1963 où il reproduisait trois pages d’un journal titrées
"L’accueil triomphal de Ben Bella à Oran".
- En 1972, le procureur devant la cour suprême du Massachussets, George V. Higgins signe Les Copains d’Eddie Coyle, un roman presque uniquement composé de dialogues crus, secs et qui sont le fruit de sa fréquentation des marginaux et délinquants "J’essaye d’utiliser un langage clair comme dans la réalité". [voir ou revoir Délits flagrants de Raymond Depardon, 1994, qui filme les entretiens des prévenus avec le substitut du procureur.]
Sur le même et vaste registre de
professionnels tirant parti de leurs expériences au contact du Milieu, Jacques
Deray tourne en 1975 Flic Story d’après
un roman autobiographique de l’enquêteur Roger Borniche (sous les traits
d’Alain Delon) qui traque et capture l’ennemi public n°1 Émile Buisson
(Jean-Louis Trintignant)… [ J’ai consacré la séance de février 2009 à Des flics écrivent des polars, et celle
de novembre 2009 à Taulards et polar ou Du malfrat à l’auteur que j’ai dédiée à
mon ami Alain Dubrieu]. C’est le moment d’avoir une pensée pour
les Mémoires (1828) de François
Eugène Vidocq, ex-condamné aux travaux forcés, ex-chef d’une brigade de sécurité,
ex-fabricant de papier qui devint le Vautrin de Balzac dans Splendeurs et misères des courtisanes,
1838-1847.
En 1978 paraît l’anaphorique Je me souviens de Georges Perec ,
480 énoncés factuels dont 15 sont consacrés à des faits divers ayant eu lieu
entre 1946 et 1961 : exemple le n° 250, "Je me souviens de l’attentat
du Petit Clamart".
Didier Daeninckx, un ancien
journaliste localier à l’acuité d’observation et la rigueur mémorable "Je
lis la presse de l’époque, la presse officielle et la presse de
contre-culture", débusque et dénonce les dérapages de l’actualité. Il crée
son personnage de l’inspecteur Cadin dans Meurtre
au premier tour (1982, réécrit en 1997), un collectionneur de… brèves et
faits divers.

La suite de son œuvre le verra
traiter entre autres des manifs de policiers parisiens (Métropolice), du premier charter pour le Mali (Lumière Noire), de la guerre d’Algérie (Le Bourreau et son double), de la collusion rouges-bruns (Nazis dans le métro), des kanaks exhibés
lors de l’exposition coloniale (Cannibale),
etc. etc.
- Journal Libération du mercredi 17 juillet 1985 : au 273ème jour de l’affaire de la Vologne, dite affaire Grégory ou affaire Villemin , le fort édito de Serge July reconvoque Barthes, les histoires de corbeau (cf Tulle, Stanislas André Steeman, H.G. Clouzot…). Il laisse place à Marguerite Duras qui fait scandale en prenant position dans un célèbre article de trois pages. Sur les traces de Poe, Dostoïevski et Leroux, elle appose son "sublime, forcément sublime Christine V." qui est entré dans l’histoire sinon de la littérature du moins du journalisme. Quant à cette affirmation et ces quelques doutes "Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. Je le crois. Au-delà de toute raison. /…/ L’enfant a dû être tué à l’intérieur de la maison. Ensuite il a dû être noyé. C’est ce que je vois. C’est au-delà de la raison" ils sont l’image de l’écrivain au travail fantasmant la réalité… Elle n’a pas deviné. Elle a vu.

Pour rester au Royaume-Uni
mentionnons un autre auteur important David Peace qui, en quatre dates
et autant de titres parus en Angleterre entre 1999 et 2002 : 1974, 1977, 1980 et 1983 s’est fait le chantre de la
décadence et d’une noirceur absolue s’attelant sur les pas de l’étrangleur du
Yorkshire, …celui-là même qui hanta ses jeunes années et lui fit soupçonner son
propre père !

Rappelons que le Dahlia est dédié : "À Geneva
Hilliker Ellroy, 1915-1958 ; Mère : Vingt-neuf ans plus tard, ces
pages d’adieux aux lettres de sang". On le rapprochera de Ma Part d’ombre (1996) "ce
recommencement", où James Ellroy relate l’enquête frelatée sur le meurtre
de sa mère qu’il confie durant des années au détective privé Bill Stoner, ou de
son texte L’Assassin de ma mère dans
le recueil de nouvelles Crimes en série
(1998 chez Rivages/ thriller).
Ellroy dira magnifiquement de
Betty "L’obscurité définit son existence et la célébrité définit sa
mort". N’oublions pas d’avoir une déférente pensée pour le légendaire flic
Harry Hansen qui consacra 35 années à cette enquête… et d’ajouter qu’avant
Ellroy, d’autres écrivains chroniqueurs, à moins que ce ne soit l’inverse,
s’emparent du filon de la fleur noire. Citons-en quelques uns par ordre
d’apparition : Ben Hecht, Leslie Charteris (le créateur du Saint), David Goodis (il proposa
de faire appel à la psychologie pour résoudre le cas).
Filon intarissable puisque, sans
être exhaustif, signalons :
de Steve Hodel (le fils du
Docteur G. Hodel, l’un des 22 suspects d’un rapport du comté de L.A. daté de
1951) L’Affaire du Dahlia Noir (Seuil)
qui fit écrire à James Ellroy dans sa préface publicitaire : "Maintenant,
je sais.".
de Don Wolfe Le Dossier Dahlia Noir (Albin Michel)
de John Gilmore On l’appelait le Dahlia Noir (L’Archipel) ;
de Stéphane Bourgoin et
Jean-Pierre Deloux Le Dahlia Noir,
autopsie d’un crime de 1947 (chez
e/dite, 2006) que nous convoquons pour
conclure "Mais la mort a toujours le dernier mot, et le Dahlia,
Joconde du noir, grimace toujours un sourire maldoréen, gardant pour elle, sa
propre énigme".

Signalons dans la même veine de
ces livres-enquêtes les exceptionnels romans noirs biographiques de Nick
Tosches Dino (1992, à
propos de Dean Martin) et Night Train (2000,
sur le boxeur Sonny Liston).
[Remémorons nous la pièce
posthume de Bernard-Marie Koltès (1990) Roberto Zucco qui traite de la folle trajectoire de ce meurtrier
parricide de 19 ans dans la région de Mestre. Pascale Froment lui
consacrera deux ans d’enquête et son Roberto
Succo, histoire vraie d’un assassin sans raison (Folio, 2001) et Cédric
Kahn un film.]
- 1995-2002 et même plus tard ... : démarrage de la série Le Poulpe. Insufflée par trois auteurs majeurs du roman noir français : Jean-Bernard Pouy, Patrick Raynal et Serge Quadruppani, elle connait chez Baleine un immense succès. Le principe en était simple et partageur : un héros libertaire grand et dégingandé, Gabriel Lecouvreur dit "Le Poulpe", apprenait par voie de presse l’existence de telle ou telle exaction, meurtre, malversation politico protégée qui ne serait pas résolue. Au nom de tous et de chacun, en quidam justicier, il décide alors d’enquêter et de faire justice, chaque fois mis en scène par un auteur différent.

[Complément
bibliographique : voir le remarquable
20 ans de faits divers (paru
chez Points Seuil en 2008), recueil d’articles allant d’octobre 1984 à février
2006 et leurs épilogues des "meilleures enquêtes de Libération" où l’on retrouve nombre d’affaires citées ici et
que Laurent Joffrin présente ainsi "Voici le roman noir de la
France". Où l’écart littéraire de Marguerite Duras cité plus haut est
étonnamment à peine résumé ; où l’on apprend qu’à la lecture de son
reportage, Christine Villemin a eu juste ces mots : "Mais elle est
folle celle-là !". Méditons également cette fascination
racoleuse ou révélatrice ?, cette propension télévisuelle récente à
reconstituer le casse du siècle spaggiarien, les affaires Villemin ou Ben
Barka, les portraits des tueurs en série Francis Heaulme et Désiré Landru (pour
TF1 d’après un scénario d’Emmanuel Carrère)…
Note : Si Thierry Jonquet est l’un des seuls
grands auteurs français à n’avoir pas écrit de Poulpe… suite à la parution de Moloch son puissant roman sur la
maltraitance des enfants et le syndrome de Münchhausen (Série Noire, Gallimard, 1998) il a subi l’épreuve d’un procès.
Des parents prétendirent y reconnaître l’histoire de leur fille et portèrent
plainte contre « atteinte à la mémoire d’une morte ». Le 7 février
2000, le Tribunal de Grande Instance de Paris a relaxé l’écrivain, au grand
soulagement de nombreux auteurs et éditeurs. Jonquet se posait la question
en ces termes : "Peut-on reprocher, interdire à un auteur de lire le
journal et de s’en imprégner ?".]
Pour Le Poulpe au lycée, j'ai écrit Let it
Di ( n° 200 éd. Baleine, 2000).

- Pour conclure, je souhaiterais faire découvrir à
celles et ceux qui ne le connaissent pas Pete Dexter l’auteur de Train,
Cotton Point ou Deadwood, cet immense représentant du roman noir hard-boiled américain et du journalisme d’investigation. En 1995, il publie Paperboy, littéralement le vendeur de journaux (éd. de L’Olivier, 1996 ; Points Seuil, 2007) : Floride, 1965, le shérif Thurmond Call, une ordure raciste, est retrouvé éventré. Hillary van Wetter, un bouseux de l’endroit marécageux, et coupable idéal, attend injustement son exécution. Charlotte, amoureuse d’Hillary, va tout tenter pour le sauver. Pour ce faire elle va parvenir à impliquer deux journalistes du Miami Times dépêchés pour reprendre l’enquête : les frères Jack et Ward James bientôt affublés d’un arriviste notoire, Yardley Acheman. Passion, ambition (le Pulitzer en ligne de mire), manipulations, vont rythmer ce roman glauque, torride et d’un réalisme exacerbé qui s’achève par cette courte phrase "Il n’y a pas d’homme intact". Rapport à notre sujet, ce summum archétypique met en scène l’implication morbide et jusqu’au-boutiste de Ward James qui se plonge dans tous les sens du terme, se perd avec ferveur, se désintègre dans la terreur au cours de sa quête-enquête qui n’est pas sans rappeler l’engagement somptueux du commissaire Matthieu dans La Promesse de Friedrich Dürrenmatt, ce chef d’œuvre de 1958, sous titré Requiem pour le roman policier.

© Gerardo LAMBERTONI
Montpellier, avril 2010
*****
Un très intéressant article. Sacré travail ! Merci pour ce panorama tout aussi attirant qu'inquiétant.
RépondreSupprimerFréderic Loison